Laïcité, quelques éléments pour débattre: nous avons lu…

une lettre ouverte aux élus de Henri Pena-Ruiz, dont voici des extraits:

téléchargementLa laïcité va mal. Ancien membre de la Commission Stasi sur l’application du principe de laïcité dans la République, je ne peux garder le silence. Naguère, la droite au pouvoir la malmenait par la bouche de Monsieur Sarkozy. Aujourd’hui certains élus de gauche ne la traitent pas mieux. Tout se passe comme si les vrais ennemis de la laïcité et ses faux amis semblaient d’accord pour l’encenser en principe et la violer en pratique. Halte à la duplicité. Inventaire.

D’abord un vocabulaire polémique brouille les choses à loisir. Il est trop facile, par exemple, d’inventer une opposition artificielle entre la laïcité dite “ouverte” et la laïcité dite “de combat”. La première expression est usuelle chez les adversaires de la laïcité qui insinuent ainsi que la laïcité tout court serait fermée. Une calomnie travestie en signe d’ouverture. La seconde est fréquente chez ceux qui par électoralisme refusent de défendre la laïcité et en édulcorent le sens. Une trahison déguisée en réalisme. Un tel vocabulaire est d’ailleurs absurde. Parle-t-on de la « liberté ouverte » ou des « droits humains de combat » ? Bref, on adjective la laïcité soit parce qu’on en rejette les exigences soit parce qu’on manque de courage politique pour les faire valoir. Les vrais ennemis de la laïcité rêvent de rétablir les privilèges publics des religions: c’est ce qu’ils appellent “laïcité ouverte”. Ils parlent de “liberté religieuse” plus que de liberté de conscience. Faudra-t-il parler aussi de “liberté athée”? Ses faux amis répugnent à la défendre par peur de perdre des voix et inventent l’expression polémique “laïcité de combat” pour qualifier une telle défense. C’est ce qui ouvre tout grand un chemin à une contrefaçon de laïcité par la droite extrême. Celle-ci feint de défendre la laïcité alors qu’elle la caricature en la tournant contre un groupe particulier de citoyennes et de citoyens. Ce qui est alors en jeu, c’est une conception discriminatoire travestie en laïcité. Tout le contraire de celle-ci.

Un premier exemple d’attaque contre la laïcité par la droite puis de refus de la défendre par la gauche au pouvoir. Comme on sait, la loi Carle votée sous la présidence de Monsieur Sarkozy met à la charge des communes la scolarisation d’enfants dans des écoles privées de communes voisines. Quand les laïques contestent cette loi et en demandent l’abrogation, les vrais ennemis et les faux amis de la laïcité, tout uniment, les accusent de vouloir rallumer la guerre scolaire ! Une accusation ridicule qui dissimule mal la volonté de faire entériner une violation de la laïcité. Aujourd’hui, que fait le gouvernement dit socialiste contre cet héritage de l’ère antérieure qui renforce les privilèges des écoles privées religieuses, affranchies de surcroît de l’obligation d’appliquer la réforme des rythmes scolaires ? Rien. C’est triste.

Pire. Monsieur Peillon, précédent ministre de l’Education Nationale, a rédigé une charte de la laïcité. Mais il a étendu le financement public des activités périscolaires aux écoles privées, alors que la Loi Debré ne le prévoyait que pour les disciplines d’enseignement. Comprenne qui pourra. A Paris, tout en s’affirmant fidèle à la laïcité, la mairie continue à subventionner des crèches confessionnelles et des fêtes religieuses comme celle qui a été organisée l’été dernier pour le ramadan. Ainsi des contribuables athées ou agnostiques sont obligés de subventionner à hauteur de 70 000 euros une fête religieuse. A quand une grande fête de l’humanisme athée financée sur fonds publics, à Paris et ailleurs ? Invoquer la culture, en l’occurrence, est peu rigoureux et néfaste. Confondre la culture arabe et le culte musulman c’est offrir un cadeau inespéré aux extrémistes religieux qui persécutent les arabes athées, accusés de “trahir leur culture”. […] Je rêve d’une sixième république où les professions de foi des élus seraient le cas échéant opposables à leur pratique effective. La laïcité reprendrait quelques couleurs, et la justice sociale aussi. La vie politique cesserait d’inspirer le dégoût aux citoyens qui pensent que les principes sont faits pour être appliqués. On va m’objecter le pragmatisme, invocation sempiternelle des élus qui trahissent. Mais concrètement le devoir des élus n’est pas d’encourager par des fonds publics les manifestations communautaristes. Il est de rappeler à tous leurs administrés que leur humanité ne se réduit pas à leur appartenance à une religion, qu’ils sont hommes et citoyens avant d’être musulmans ou catholiques. Des citoyens porteurs de volonté générale, c’est-à-dire d’une faculté de vouloir ce qui vaut pour tous et non ce qui ne vaut que pour eux seuls. Mesdames et messieurs les élus, mettez votre pratique en accord avec les principes que vous prétendez défendre ! Pour lutter efficacement contre les communautarismes religieux et leurs dangereuses dérives, cessez d’encourager les revendications particularistes. Les élus politiques, porteurs des principes et des lois de la République, sont comme le disait Victor Hugo les « instituteurs du peuple ».

Une politique républicaine doit viser le seul intérêt général, commun à tous. Dans cet esprit, il faut consacrer l’argent public aux seuls services d’intérêt général. Et montrer ainsi que la République ne se contente pas de proclamer l’universalisme, mais lui donne concrètement chair et vie. L’instruction et la culture, l’accès aux soins, le logement social, sont d’intérêt commun aux divers croyants et aux athées. Ils sont de portée universelle. Pas la religion, ni d’ailleurs l’athéisme, options spirituelles particulières, à traiter comme telles si le mot république a encore un sens. Le deuxième article de la Loi du 9 Décembre 1905 est clair: “La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte”.

[…]
Un autre exemple. Dans une déclaration à l’Observatoire de la laïcité, Madame Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Education nationale, vient de permettre aux accompagnantes scolaires, au passage limités aux seules « mamans », de porter un signe religieux dans l’exercice de leur fonction. La laïcité implique l’égalité des droits des divers croyants et des athées. En toute logique, un(e) accompagnant(e) athée aura donc également le droit de porter un tee-shirt stipulant « Dieu n’existe pas ». Si on ne lui accorde pas ce droit, en soutenant que ce serait du prosélytisme, on fait deux poids deux mesures. Etrange interprétation de la laïcité, réduite à un égal traitement des seules religions et non de toutes les convictions. Pourquoi les athées n’auraient-ils pas le droit de mettre en avant leur choix spirituel, comme des croyants le font? Au nom de quoi une telle discrimination ? Par ailleurs Madame Vallaud-Belkacem réitère l’erreur qu’avait dû corriger la commission Stasi en proposant la Loi de 2004. En refusant de définir une même règle pour tous les établissements scolaires, conformément à l’indivisibilité de la République, elle dessaisit la laïcité de son statut de principe constitutionnel dans la hiérarchie des normes, et l’abandonne à la diversité des rapports de force locaux. Ce n’est pas la meilleure façon de la défendre.

Approfondissons cet exemple. Une conduite à prétention civique ou éthique doit pouvoir s’universaliser pour être recevable. Concrètement, une mère de famille musulmane ou catholique accepterait-elle que son enfant soit accompagné en voyage scolaire par un athée portant un tee-shirt mentionnant son choix spirituel athée ? Non sans doute. Un enfant de famille athée ne peut davantage être accompagné par une mère voilée ou un père coiffé d’une kipa. Car enfin un voyage scolaire n’est pas une sortie touristique. Le régime des libertés qui prévaut dans la société civile ne saurait donc être étendu à l’école, ni aux activités scolaires, qui concernent des élèves mineurs soumis à l’instruction obligatoire. Un voyage scolaire, c’est encore l’école, et d’ailleurs en cas d’accident c’est l’Education Nationale qui assure. L’obligation de réserve des enseignants, des conseillers d’éducation, doit donc valoir également pour les personnes qui sont volontaires pour accompagner des voyages scolaires. Parler de « mamans » (pourquoi pas de « papas » ?) c’est mettre en avant le rapport familial parent-enfant. Mais celui-ci ne vaut comme tel que pour l’enfant de l’accompagnant. Pour tous les autres, enfants-élèves, il ne saurait valoir, et la “maman” ou le “papa” n’est perçu(e) que comme accompagnant scolaire. C’est donc le rapport accompagnants scolaires-élèves qui est en jeu, et non le rapport enfant-maman. Recentrons nous sur la fonction remplie et le régime de droit qu’elle requiert au lieu de brouiller les pistes par une présentation compassionnelle. Cette neutralité n’a rien d’arbitraire: elle promeut le minimum de distance à soi qui conduit à respecter le droit pour d’autres personnes d’avoir des convictions différentes. La laïcité se définit par une exigence et pas seulement par un droit. C’est pourquoi elle est un levier d’émancipation. Tout adulte encadrant une activité scolaire doit comprendre que l’élève n’est plus seulement l’enfant. Une deuxième vie s’ouvre à lui, qui ne nie pas la première mais la dépasse. Un élève, c’est un être qui s’élève. Mettre en avant ce qui unit plutôt que ce qui divise est alors essentiel. Toute personne volontaire pour accompagner une activité scolaire peut le comprendre sans avoir à se sentir blessée ou niée. La concorde est plus sûrement assurée par une telle retenue que par une manifestation spontanée de la religion ou de l’athéisme, surtout en présence de jeunes gens influençables. Et qu’on ne dise pas qu’en cas d’exigence de neutralité vestimentaire une seule religion serait stigmatisée, puisque la déontologie laïque proscrirait aussi bien la croix charismatique, la kipa, le voile, et le fameux tee-shirt de l’athée.

[…]
Henri Pena Ruiz,

Ancien membre de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité
Dernier ouvrage paru : Dictionnaire amoureux de la laïcité (Editions Plon)
Prix de l’initiative laïque 2014 et Prix national de la laïcité 2014.

Le texte complet de cette lettre ouverte  PENA-RUIZ-01-12-2014

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